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Discutons carbone

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Comment convertir ses terres à l’agriculture biologique sans intensifier son travail du sol ?

par | Août 4, 2022 | Radio Carbone, Blog

Dans le deuxième épisode du podcast Radio Carbone, qui donne la parole aux agriculteurs du programme, nous nous intéressons à la réduction du travail du sol en agriculture biologique (AB).

Le cas d’Heinrich en Côte d’Or : la conversion à l’agriculture biologique

Si la conversion à l’AB entraîne généralement une amélioration du bilan carbone par la suppression des applications d’azote minéral, certains agriculteurs craignent de devoir intensifier le travail du sol pour gérer le salissement des parcelles, ce qui aurait pour effet de libérer une partie du carbone du sol par la minéralisation de la matière organique. C’est le cas d’Heinrich, agriculteur en Côte d’Or (21) engagé dans le programme carbone Soil Capital, en non labour depuis dix ans, et qui a entamé une conversion d’une partie de sa ferme à l’AB en 2020.

Recommandations d’Icosystème : travailler sur la rotation plutôt que sur le labour

Pour Frédéric Thomas, agriculteur, fondateur de la revue TCS et formateur chez Icosystème, le labour n’est pas la solution la plus performante et comporte des risques. L’enjeu se situe plutôt au niveau de la planification de la rotation, au travers du choix des cultures, de leur enchaînement et de la couverture du sol.

Le labour, pas le plus efficace pour gérer le salissement

En AB, la gestion du salissement est un point d’attention majeur en l’absence de solution chimique. Selon Frédéric Thomas, le retournement n’est cependant pas le plus efficace pour réduire la pression adventice. En effet, « s’il permet d’éliminer les plantes présentes, le labour a une efficacité moyenne sur les graminées, et très faible sur les dicotylédones ». Par exemple, la culture de moutarde pratiquée par Heinrich produit des graines qui sont conservées dans le sol pendant des années. Frédéric Thomas préconise autant que possible de laisser les graines en surface, où la dépression est bien meilleure tant pour les graminées que les dicotylédones.

Éviter les pertes de fertilité

La gestion de la fertilité est le deuxième challenge principal de l’AB. En effet, en l’absence d’engrais minéraux on manque souvent de fertilité disponible, en d’autres termes, de flux de fertilité. Avec 2,9 % de matière organique en moyenne, les sols de Heinrich disposent d’une certaine réserve de fertilité, appelée “auto-fertilité” par Frédéric Thomas. Or le labour entraîne une activité minéralisatrice importante, et donc la libération d’une quantité importante de nutriments. “Si au printemps tardif, ces flux de fertilité peuvent être valorisés par les cultures, à la fin de l’automne la croissance végétative est beaucoup plus faible et on peut assister à des fuites importantes. Ce risque de pertes est accentué dans un contexte où les parcelles n’ont pas été labourées depuis de nombreuses années, où l’on pourrait presque assister à un effet prairie.” Le pilotage de l’auto-fertilité est donc central en AB, “il va falloir apprendre à utiliser l’auto-fertilité déjà présente dans les sols, la recycler et la conserver, voire même la faire progresser”.

Travailler sur la rotation

Frédéric Thomas explique que le double objectif de contrôle du salissement et gestion de la fertilité peut être atteint au travers de la rotation des cultures. Il conseille de réduire la part de cultures d’hiver (blé d’hiver, colza, moutarde d’hiver…), qui représente entre 50 et 70 % de l’assolement de Heinrich, mais sont peu adaptées à l’agriculture biologique. En effet, ces cultures ont d’une part une longueur de présence importante, ce qui laisse le temps au salissement de s’installer, et d’autre part ont des cycles de croissance décalés par rapport aux cycles naturels de minéralisation.

Frédéric Thomas suggère d’orienter la rotation vers des cultures de printemps (blé de printemps, orge de printemps, moutarde de printemps…) car ces cultures permettent de mieux contrôler les adventices. Les cultures de printemps ont des cycles végétatifs qui coïncident mieux avec la minéralisation naturelle de la matière organique, et permettent par ailleurs d’implanter des couverts végétaux importants (couverts d’été voire d’hiver jusqu’à l’installation de la culture) et d’alimenter le système en carbone et en fertilité.

Frédéric Thomas mentionne par ailleurs le fait que les cultures de printemps sont l’occasion d’implanter des légumineuses semi-pérennes (trèfle blanc, luzerne…), qui permettent de couvrir facilement les intercultures tout en rechargeant la fertilité.

En fin de rotation ou en relais de rotation, il peut être par ailleurs judicieux de les garder une année de plus pour restaurer les structures, capitaliser un maximum de matière organique et de fertilité et nettoyer les parcelles.

Enfin, derrière les céréales, Frédéric Thomas propose de maximiser la couverture en enchaînant un couvert d’été avec une plante en C4* productrice de biomasse comme le sorgho, suivi d’un couvert relais “légumix” féverole-pois-vesce avant une culture de printemps. En cas de flux de fertilité importants, il est possible de pourquoi ne pas plutôt se diriger vers un relais de seigle qui  pourrait permettre d’envisager l’implantation d’un soja en semi-direct dans le couvert de seigle roulé. Ce dernier enchaînement a fait l’objet de nombreux travaux par l’ISARA de Lyon, et se montre efficace pour maîtriser les adventices.

*plante ayant un mécanisme de photosynthèse particulier adapté à un climat chaud comme le sorgho ou le maïs

La réussite de la conversion à l’agriculture biologique

En guise de conclusion, Frédéric Thomas imagine l’enchaînement représenté schématiquement ci-dessous, qui permettrait  de “minimiser le travail du sol et maximiser la couverture du sol ainsi que la production de biomasse, pour être constamment en recharge de la fertilité et rentrer un maximum d’azote dans le système”.

Dans ce podcast, Frédéric Thomas nous montre que des itinéraires en non labour avec une minimisation du travail du sol sont envisageables, à condition de choisir des cultures et couverts adaptés. En AB, la maîtrise des adventices et la gestion de la fertilité doivent donc absolument être envisagées à l’échelle du système, grâce entre autres à des enchaînements efficaces et une couverture maximale du sol.

Illustration

Mélange variétal de blé ancien conduit en bio sous couvert permanent de trèfle violet chez Philippe Houdan à Châtillon-Sur-Seine. Crédit : Maxime Alaurent, juin 2022.

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