Introduire des légumineuses dans les couverts pose-t-il un risque sanitaire sur les cultures de protéagineux ?

Introduire des légumineuses dans les couverts pose-t-il un risque sanitaire sur les cultures de protéagineux ?

Dans le septième épisode du podcast Radio Carbone, nous nous intéressons aux risques sanitaires liés à l’utilisation des légumineuses en couverts d’interculture, dans les rotations comportant déjà des protéagineux. En effet, l’intégration de légumineuses dans les rotations, sous forme de cultures de rentes (pois protéagineux, féverole, luzerne…) ou de cultures de services (plantes associées, couverts d’intercultures) présentent de multiples intérêts tels que la fin de la rotation, la fixation symbiotique d’azote, et le développement des mycorhizes. L’utilisation de certaines espèces dans les couverts doit faire l’objet d’une attention particulière, afin de ne pas favoriser l’émergence ou le maintien de certaines maladies affectant les cultures de rentes.

Question d’Alain en Charente-Maritime

Alain, agriculteur en Charente-Maritime (Nouvelle-Aquitaine), est engagé dans le programme carbone Soil Capital. Il se demande si augmenter la part de légumineuses dans ses couverts végétaux pourrait poser un risque sanitaire pour ses cultures de protéagineux (18 % de sa SAU en 2022).

Recommandations d’Icosytème vis-à-vis des légumineuses

Gilles Sauzet répond à Alain en soulignant l’importance de la connaissance du potentiel infectieux de son sol et du choix des espèces et variétés utilisées. Selon l’expert, l’attention doit être portée à deux maladies fongiques en particulier: l’aphanomyces et le botrytis.

Aphanomyces 

L’aphanomyces (Aphanomyces euteiches) est une pourriture racinaire affectant des légumineuses telles que la lentille ou le pois. Les symptômes sont une chlorose des feuilles et plus globalement une dégénérescence des plantes qui peuvent occasionner des pertes importantes.

Gilles rappelle tout d’abord que la rotation est le premier levier pour préserver l’état sanitaire du sol: si un délai de minimum 5 ans est souvent préconisé avant de revenir avec un protéagineux sensible (voir encadré) sur une même parcelle, il conseillé d’étendre cette période de retour à 7 ans si des espèces sensibles sont également incluses dans les couvert. Par ailleurs, Gilles recommande vivement de réaliser un test sol pour connaître le potentiel infectieux des parcelles. Les notes de potentiel infectieux (PI) varient de 0 à 5:

  • PI < 1 : parcelle peu ou pas infestée (pathogène globalement non détecté)

Possible d’intégrer des légumineuses en couverts associés ou interculture, en privilégiant tout de même des espèces (ou variétés) résistantes du fait de la présence de protéagineux sensibles dans la rotation.

  • 1 < PI < 2,5 : parcelle moyennement infestée

Des dégâts peuvent apparaître sur des protéagineux de printemps comme le pois et la lentille. Il faut donc choisir des espèces résistantes à très résistantes dans les couverts associés ou en interculture.

  • PI > 2,5 :  parcelle fortement infestée (présence avérée de l’inoculum)

Présence de légumineuses non résistantes totalement déconseillées. Si intégration de légumineuses en association ou dans les couverts d’interculture, opter pour des espèces telles que la féverole, le lupin ou le fenugrec.

En l’absence de test sol, Gilles préconise d’utiliser uniquement des espèces/variétés résistantes à très résistantes.

Classification de quelques espèce de légumineuses en fonction de la sensibilité à l’aphanomyces

  • Espèces sensibles (plantes hôtes qui multiplient le pathogène): pois, lentille, luzerne, certaines variétés de trèfles, vesces, gesses, haricots vert et rougeEspèces non hôtes: pois chiche, lupin, lotier, fenugrec
  • Espèces hôtes mais résistantes: féverole, soja et sainfoin
  • Espèces sensibles à variétés résistantes: trèfle d’Alexandrie (var. Tabor), trèfle incarnat, trèfle violet, trèfle blanc, vesce commune

Voir publication de Terre Inovia et Arvalis (2017)

Botrytis

Le botrytis (Botrytis cinerea) est une maladie aérienne affectant principalement la féverole. Les plantes atteintes présentes de nombreuses petites taches brunes. La maladie se développe par temps humide et doux, et les spores sont transportés par le vent.

Pour Gilles, le principale risque se présente dans le cas des féveroles semées et levées précocément, par exemple en début d’été dans un couvert d’interculture, qui peuvent contaminer en hiver une féverole destinée à être récoltée située dans une parcelle voisine. Le risque est accru lorsque les féveroles de rente sont semées précocement et avec une forte densité. Si la situation se présente, Gilles recommande de détruire le couvert précocement.

Conclusion

La présence de certaines légumineuses dans les couverts d’interculture ou comme plantes associées peut contribuer à maintenir des pathogènes affectant des cultures de protéagineux, en particulier l’aphanomyces. Cependant, à condition d’un choix d’espèces et variétés adaptées, et d’une surveillance (dans la mesure du possible) du potentiel infectieux du sol, le risque peut être grandement limité, voire éliminé. Le risque maladie est donc un critère d’attention, et non pas d’exclusion, des légumineuses en couverts dans les systèmes de cultures comportant des protéagineux.

Légende première image : Culture de pois dans la Vienne, juin 2022.

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Pour continuer la réflexion : https://agriculture-de-conservation.com/Couverts-vegetaux-et-maladies-1.html

Faut-il composter le fumier avant de l’épandre?

Faut-il composter le fumier avant de l’épandre?

Soil Capital est régulièrement questionné sur la faisabilité agronomique de certaines pratiques agricoles bénéfiques au bilan carbone d’une exploitation. Le sixième épisode du podcast Radio Carbone est consacré aux apports de produits organiques, levier d’amélioration significative du bilan carbone d’une parcelle agricole, mais dont les formes (fumiers ou composts dans cet article) et les effets sur le sol (stockage de matière organique et stimulation de la vie du sol notamment) peuvent être très variables. 

Question de Xavier en Haute-Marne: ai-je intérêt à composter mon fumier avant de l’épandre?

Xavier, agriculteur en Haute-Marne (52, Région Grand-Est), est engagé dans le programme carbone Soil Capital. Il nous a sollicité dans sa réflexion pour savoir si l’épandage de fumier frais est le meilleur moyen de valoriser la matière organique qu’il a à sa disposition, en termes de bénéfices agronomiques, ou s’il ne serait pas plus avantageux de le composter. En agriculture biologique, Xavier épand actuellement du fumier équin et bovin frais sur ses parcelles.

Recommandations de Celesta-lab vis-à-vis du compostage des fumiers

En partenariat avec Icosystème, Thibault Déplanche, directeur du laboratoire Celesta-lab*, répond à Xavier en soulignant que chaque type de produit organique comporte des avantages et inconvénients, et que le choix de l’un ou l’autre dépend de l’objectif agronomique poursuivi.

*Laboratoire spécialisé dans l’analyse, l’étude et le conseil en biologie des sols et valorisation des produits organiques

Bénéfices et risques des composts et fumiers

Thibaut explique que le compostage permet d’obtenir un carbone très stable, car les formes carbonées digestibles (facilement minéralisables) ont été consommées sous forme d’activité biologique (et donc de production de dioxyde de carbone – CO2) pendant le processus. Cette perte du carbone digestible est la raison pour laquelle on constate une réduction de volume d’un fumier composté. Par conséquent, l’apport de compost aura pour principal effet l’enrichissement du sol en carbone stable, et donc le renforcement du stock de matière organique à long-terme.

L’effet d’un apport de fumier frais est double: il constitue un apport de carbone stable similaire au compost, mais est également une source de carbone digestible qui va nourrir la biologie du sol et stimuler les micro-organismes. Cependant, le fumier frais a une “plage d’utilisation” plus faible que le compost, car il est plus difficile à épandre, et comporte des pathogènes et graines d’adventices que le processus de compostage permet d’éliminer (hygiénisation par la montée en température).

Fumier composté Crédit : Matthieu Delespesse, août 2022

Choix du produit en fonction de l’objectif

Si l’on cherche à augmenter rapidement la teneur en matière organique stable du sol, Thibaut recommande d’apporter du compost, car il est peu risqué et peut être apporté en grandes quantités. A titre de comparaison, un apport de 50 tonnes par hectares (t/h) de compost peut facilement être envisagé (à condition d’avoir les ressources financières), tandis qu’épandre 50 tonnes de fumier frais peut être beaucoup plus risqué, en fonction de la teneur en paille et de la fragilité des sols.

Par contre, si l’on cherche à stimuler la vie du sol et à améliorer la structure à très court terme, un apport de fumier frais est plus opportun. En ce qui concerne la quantité à apporter, Thibaut indique qu’un apport de 20 t/ha permet de minimiser les risques. Dans le cas particulier de la ferme de Xavier, dont les sols sont riches en matière organique (5%), “on a probablement plus de résilience qui permettrait de monter à environ trente à quarante tonnes sans rencontrer de grosses problématiques”. Cependant, dans un contexte d’agriculture biologique où la fertilisation azotée est plus compliquée à maîtriser, Thibaut limiterait les apports de vingt à trente tonnes.

Choisir son objectif agronomique 

Pour Thibaut, le choix entre un fumier et un compost est tout d’abord une question d’objectif agronomique. 

  • Si l’objectif est d’augmenter rapidement le stock de matière organique sans prendre de risques, le compost est à privilégier. 
  • Si une stimulation de l’activité biologique est également recherchée, l’apport de fumier est plus indiqué. Dans ce cas, il est important de réfléchir sur les quantités à épandre en fonction de la résilience du sol et des caractéristiques du produit (notamment la teneur en paille pour son influence sur le C/N et l’épandabilité du fumier).

Légende première image : Fumier de bovin épandu pour des chaumes de céréales. Belgique. Crédit : Matthieu Delespesse, août 2022

Lettre Carbone : Conseils pour réussir les semis de couverts

Lettre Carbone : Conseils pour réussir les semis de couverts

La sécheresse extrême de cette année complique à nouveau l’implantation des couverts végétaux dans de nombreuses régions, alors que ceux-ci représentent un levier agronomique majeur pour évoluer vers un système plus solide face aux aléas climatiques. Ils constituent aussi un des principaux facteurs d’amélioration du bilan carbone. Voici quelques pistes pour maximiser la réussite de vos couverts dans ces conditions.

Semer le plus tôt possible

Comme Matthieu Archambeaud (d’Icosystème) le mentionnait dans le premier épisode du podcast Radio Carbone consacré aux couverts végétaux, semer le plus tôt possible (derrière la récolte) est généralement un facteur de succès. Si les techniques adéquates sont employées, un couvert semé tôt, même dans le sec, fait généralement déjà de la racine qui permet une valorisation maximale des premières pluies, et accumule des sommes de température fondamentales pour son développement futur. En attendant la première averse pour semer, on court le risque d’une moindre valorisation de l’eau, dans un horizon de surface qui va rapidement se ré-assécher.

En semis direct

L’utilisation d’un semoir de semis direct à dents fines de semis direct est dans de nombreuses situations la technique maximisant la qualité de l’implantation (intervention rapide, conservation de l’humidité résiduelle…). En conditions sèches, rouler les semis améliorera par ailleurs le contact sol-graine et refermera la ligne efficacement. Cette orientation “semis direct” nécessite par ailleurs une très bonne répartition des pailles et menues pailles, qui peut être complétée par un passage de herse à paille ou d’un déchaumage très superficiel (moins de 5 cm).

Semer profond

Une profondeur de semis importante de 4 à 5 cm est idéale pour optimiser la levée. En effet, à cette profondeur les graines ne germeront pas tant que le profil n’aura pas été suffisamment ré-humecté, ce qui par la suite réduit les risques de dessèchement des plantules. En semis direct, avantage encore une fois au semoir à dents en conditions sèches qui pénètre plus facilement la surface du sol que des disques. 

Si un déchaumage très superficiel peut permettre de maintenir le peu de fraîcheur dans le sol et limiter l’évaporation par remontées capillaires (comme un binage), attention à ne pas descendre sous la profondeur de semis et veiller à placer les graines sur le fond de travail. Le cas de figure le plus défavorable pour un semis d’été est une succession déchaumage profond qui assèchent le sol suivi d’un semis superficiel dans un sol complètement sec (exemple des semis de colza 2021).

Les implications du semis tardif

Si le semis tardif ne peut être évité (contraintes techniques, logistiques..), il est préférable de repousser la date de destruction après l’hiver, afin que le couvert ait le temps de remplir sa fonction de protection et de structuration des sols. Si le couvert est constitué d’une bonne part de légumineuses, il se détruira facilement et rapidement et sera par ailleurs capable de relarguer de la fertilité pour la culture qui suit. Les espèces adaptées pour le semis tardif sont par exemple l’avoine, la phacélie, la féverole, le lin, la vesce velue, la moutarde, le radis… Sont par contre à éviter toutes les espèces typées ”été” comme le tournesol, le sorgho, le moha, les trèfles…

Autre clé de réussite : la diversification des couverts

La diversification des espèces semées est également un levier clé de réussite des couverts. Quatre à cinq espèces différentes sont souvent considérées comme un minimum pour assurer un développement et une couverture optimale quelles que soient les conditions de l’année. Pour constituer le mélange, le principe général d’association est de diviser la dose de semis en pur de chaque espèce du mélange par le nombre d’espèces présentes dans le mélange, en adaptant éventuellement les densités en fonction de la vitesse de croissance (sous-dosage des crucifères ou sur-dosage des légumineuses).

Photo de couverts: féverole, phacélie et avoine. Crédit: Thomas Lecomte

Focus : les avantages face à la hausse des prix des engrais

Dans le contexte de hausse du prix des engrais, rappelons finalement un des avantages majeurs de l’implantation d’un couvert d’interculture: la restitution de nutriments pour les cultures qui suivent. Prenons l’exemple d’un couvert “biomax” constitué de radis (2 kg), phacélie (2 kg), pois (20 kg) et vesce (12 kg). Il convient bien pour les implantations de mi à fin août pour une interculture d’automne et d’hiver. S’il produit 3 tonnes de matière sèche, il fournit en moyenne (simulation avec le logiciel MERCI) l’équivalent de 110 kg d’azote, 15 kg de phosphore et 115 kg de potassium aux cultures suivantes (dont 41 kg d’azote disponible pour la culture suivante), ce qui représente plus de 250 € en “équivalents fertilisants”, phosphore et potassium compris. 

Les couverts sont possibles en conditions sèches

Les conditions sèches que nous observons actuellement impactent les dates de semis des couverts végétaux cette année mais ils restent réalisables. Certains ont pu semer directement à la fin de la moisson mais pour ceux qui n’ont pas encore pu commencer, d’autres scénarios sont possibles pour mettre en place les couverts. 

Nous sommes confiants dans leurs implantations possibles dans les semaines qui viennent. En plus de leur impact favorable dans un bilan carbone, les apports en nutriments fournis par les couverts en font, encore plus que jamais, un allié incontournable, à conserver dans le contexte actuel de la hausse des prix des engrais.

L’équipe des agronomes de Soil Capital

Matthieu Delespesse, Gilles Duhaubois, Max Morelle et Nicolas Verschuere

Légende de la première photo: champ d’orge en juillet 2022, Meuse (55). Crédit: Maud Lesure