Comment convertir ses terres à l’agriculture biologique sans intensifier son travail du sol ?

Comment convertir ses terres à l’agriculture biologique sans intensifier son travail du sol ?

Dans le deuxième épisode du podcast Radio Carbone, qui donne la parole aux agriculteurs du programme, nous nous intéressons à la réduction du travail du sol en agriculture biologique (AB).

Le cas d’Heinrich en Côte d’Or : la conversion à l’agriculture biologique

Si la conversion à l’AB entraîne généralement une amélioration du bilan carbone par la suppression des applications d’azote minéral, certains agriculteurs craignent de devoir intensifier le travail du sol pour gérer le salissement des parcelles, ce qui aurait pour effet de libérer une partie du carbone du sol par la minéralisation de la matière organique. C’est le cas d’Heinrich, agriculteur en Côte d’Or (21) engagé dans le programme carbone Soil Capital, en non labour depuis dix ans, et qui a entamé une conversion d’une partie de sa ferme à l’AB en 2020.

Recommandations d’Icosystème : travailler sur la rotation plutôt que sur le labour

Pour Frédéric Thomas, agriculteur, fondateur de la revue TCS et formateur chez Icosystème, le labour n’est pas la solution la plus performante et comporte des risques. L’enjeu se situe plutôt au niveau de la planification de la rotation, au travers du choix des cultures, de leur enchaînement et de la couverture du sol.

Le labour, pas le plus efficace pour gérer le salissement

En AB, la gestion du salissement est un point d’attention majeur en l’absence de solution chimique. Selon Frédéric Thomas, le retournement n’est cependant pas le plus efficace pour réduire la pression adventice. En effet, « s’il permet d’éliminer les plantes présentes, le labour a une efficacité moyenne sur les graminées, et très faible sur les dicotylédones ». Par exemple, la culture de moutarde pratiquée par Heinrich produit des graines qui sont conservées dans le sol pendant des années. Frédéric Thomas préconise autant que possible de laisser les graines en surface, où la dépression est bien meilleure tant pour les graminées que les dicotylédones.

Éviter les pertes de fertilité

La gestion de la fertilité est le deuxième challenge principal de l’AB. En effet, en l’absence d’engrais minéraux on manque souvent de fertilité disponible, en d’autres termes, de flux de fertilité. Avec 2,9 % de matière organique en moyenne, les sols de Heinrich disposent d’une certaine réserve de fertilité, appelée “auto-fertilité” par Frédéric Thomas. Or le labour entraîne une activité minéralisatrice importante, et donc la libération d’une quantité importante de nutriments. “Si au printemps tardif, ces flux de fertilité peuvent être valorisés par les cultures, à la fin de l’automne la croissance végétative est beaucoup plus faible et on peut assister à des fuites importantes. Ce risque de pertes est accentué dans un contexte où les parcelles n’ont pas été labourées depuis de nombreuses années, où l’on pourrait presque assister à un effet prairie.” Le pilotage de l’auto-fertilité est donc central en AB, “il va falloir apprendre à utiliser l’auto-fertilité déjà présente dans les sols, la recycler et la conserver, voire même la faire progresser”.

Travailler sur la rotation

Frédéric Thomas explique que le double objectif de contrôle du salissement et gestion de la fertilité peut être atteint au travers de la rotation des cultures. Il conseille de réduire la part de cultures d’hiver (blé d’hiver, colza, moutarde d’hiver…), qui représente entre 50 et 70 % de l’assolement de Heinrich, mais sont peu adaptées à l’agriculture biologique. En effet, ces cultures ont d’une part une longueur de présence importante, ce qui laisse le temps au salissement de s’installer, et d’autre part ont des cycles de croissance décalés par rapport aux cycles naturels de minéralisation.

Frédéric Thomas suggère d’orienter la rotation vers des cultures de printemps (blé de printemps, orge de printemps, moutarde de printemps…) car ces cultures permettent de mieux contrôler les adventices. Les cultures de printemps ont des cycles végétatifs qui coïncident mieux avec la minéralisation naturelle de la matière organique, et permettent par ailleurs d’implanter des couverts végétaux importants (couverts d’été voire d’hiver jusqu’à l’installation de la culture) et d’alimenter le système en carbone et en fertilité.

Frédéric Thomas mentionne par ailleurs le fait que les cultures de printemps sont l’occasion d’implanter des légumineuses semi-pérennes (trèfle blanc, luzerne…), qui permettent de couvrir facilement les intercultures tout en rechargeant la fertilité.

En fin de rotation ou en relais de rotation, il peut être par ailleurs judicieux de les garder une année de plus pour restaurer les structures, capitaliser un maximum de matière organique et de fertilité et nettoyer les parcelles.

Enfin, derrière les céréales, Frédéric Thomas propose de maximiser la couverture en enchaînant un couvert d’été avec une plante en C4* productrice de biomasse comme le sorgho, suivi d’un couvert relais “légumix” féverole-pois-vesce avant une culture de printemps. En cas de flux de fertilité importants, il est possible de pourquoi ne pas plutôt se diriger vers un relais de seigle qui  pourrait permettre d’envisager l’implantation d’un soja en semi-direct dans le couvert de seigle roulé. Ce dernier enchaînement a fait l’objet de nombreux travaux par l’ISARA de Lyon, et se montre efficace pour maîtriser les adventices.

*plante ayant un mécanisme de photosynthèse particulier adapté à un climat chaud comme le sorgho ou le maïs

La réussite de la conversion à l’agriculture biologique

En guise de conclusion, Frédéric Thomas imagine l’enchaînement représenté schématiquement ci-dessous, qui permettrait  de “minimiser le travail du sol et maximiser la couverture du sol ainsi que la production de biomasse, pour être constamment en recharge de la fertilité et rentrer un maximum d’azote dans le système”.

Dans ce podcast, Frédéric Thomas nous montre que des itinéraires en non labour avec une minimisation du travail du sol sont envisageables, à condition de choisir des cultures et couverts adaptés. En AB, la maîtrise des adventices et la gestion de la fertilité doivent donc absolument être envisagées à l’échelle du système, grâce entre autres à des enchaînements efficaces et une couverture maximale du sol.

Illustration

Mélange variétal de blé ancien conduit en bio sous couvert permanent de trèfle violet chez Philippe Houdan à Châtillon-Sur-Seine. Crédit : Maxime Alaurent, juin 2022.

Comment réussir ses couverts végétaux en conditions sèches ?

Comment réussir ses couverts végétaux en conditions sèches ?

Le premier épisode du podcast Radio Carbone est consacré aux couverts végétaux d’interculture, levier d’amélioration central du bilan carbone d’une parcelle agricole, mais dont l’implantation reste délicate en conditions sèches.

Question de Frédéric en Charente: comment réussir ses couverts d’interculture?

Frédéric, agriculteur en Charente (Nouvelle-Aquitaine), est engagé dans le programme carbone Soil Capital. Il nous a sollicité dans sa réflexion afin de sécuriser la réussite de ses couverts d’interculture entre une céréale à paille récoltée en été et une culture de printemps (tournesol, maïs, lin…). Frédéric sème un couvert de phacélie (5 kg/ha) en septembre qu’il détruit mi-novembre, et la biomasse produite dépasse rarement une demi tonne de matière sèche .

Recommandations d’Icosytème pour améliorer ses couverts végétaux

Matthieu Archambeaud, agronome spécialisé en agroécologie et président d’Icosystème, répond à Frédéric en mettant en évidence deux pistes majeures pour améliorer la production de biomasse des couverts en conditions sèches.

Diversifier le couvert

Matthieu Archambeaud rappelle que la multiplication des espèces et l’introduction de légumineuses dans les couverts augmente les chances de réussite. En effet, la phacélie est une espèce particulièrement versatile dont le développement dépend fortement des conditions d’humidité et de la disponibilité en fertilité dans le sol. La semer seule en conditions sèches réduit les chances de son succès. Matthieu recommande plutôt à Frédéric de passer à des couverts de minimum 4-5 espèces, pour pouvoir s’adapter aux conditions de sol au moment du semis. Matthieu suggère aussi l’ajout d’une crucifère (exemple radis fourrager), de légumineuses (pois fourrager, féverole, vesce…), de lin, d’avoine… et insiste par ailleurs sur le choix des espèces en vue de leur destruction. Pour des vesces par exemple, les vesces communes de printemps sont plus faciles à détruire.

Avancer la date de semis…

Lorsqu’on sème un couvert le 15 septembre et on le détruit le 15 novembre, la production de biomasse est relativement faible car les sommes de température en octobre et novembre sont réduites (trois fois moins de degrés jours en octobre qu’en août). Pour Matthieu, les huit ou neuf mois qui s’écoulent entre la récolte en juillet et le semis d’un tournesol et d’un maïs au mois d’avril nous offrent deux  possibilités principales pour maximiser le développement. La première solution est d’avancer la date de semis, au travers d’une “orientation semi-direct” qui va consister à semer le couvert le plus tôt possible après la récolte, avec un semoir spécifique. Le couvert atteindra la maturité (floraison) au mois d’octobre-novembre et sera alors détruit à la fin de son cycle et dans de bonnes conditions. Cette orientation, qui permet de maintenir une destruction précoce, est cependant assez spécialisée et se retrouve dans des systèmes relativement avancés, où l’on observe même la mise en place d’un deuxième couvert “relais” implanté à l’automne pour faire la jonction avec le printemps.

A gauche : Semences de couvert multi-espèce tournesol – féverole – avoine – vesce. Crédit: Thomas Lecomte, août 2020.
A droite : Semences mélange multi-espèces blé – pois protéagineux. Crédit: Thomas Lecomte, juillet 2020.

 …ou reculer la destruction

La deuxième solution pour maximiser le développement du couvert consiste à maintenir des dates de semis tardives mais repousser la date de destruction. Elle est probablement plus accessible compte tenu du matériel disponible sur la ferme de Frédéric (pas de semoir de semis direct) et des dates de semis à partir du mois de septembre. Le couvert remplira sa fonction de protection et de structuration des sols durant l’hiver, et sera alors détruit trois mois après la date initiale, à partir du 15 février pour des cultures comme le tournesol ou le maïs. Si le couvert est constitué d’une bonne part de légumineuses, il se détruira facilement et rapidement et sera par ailleurs capable de relarguer de la fertilité pour la culture qui suit. Par contre, dans le cas du lin qui est semé beaucoup plus tôt, il est nécessaire que le couvert ait quasiment finalisé son cycle à l’entrée de l’hiver, et c’est plutôt l’anticipation de la  date de semis qui est à privilégier.

Couvert végétal mélange d’avoine, phacélie et féverole. Crédit: Maxime Alaurent, juin 2022

Réussir ses couverts végétaux

Différentes pistes existent pour améliorer la réussite des couverts végétaux en conditions sèches. Certaines, comme la diversification des espèces semées ou l’allongement de la durée du couvert sont relativement accessibles et ne nécessitent pas de matériel supplémentaire, tandis que d’autres, comme le semis direct ou la mise en place d’un couvert relais, sont plus techniques et nécessitent un investissement supérieur. Matthieu recommande de privilégier les premières à court-terme, alors que les dernières, optimales en termes de services rendus, relèvent plus d’un objectif à long-terme.

Couvert de phacélie en fleur à Meux en Belgique. Crédit : Maxime Alaurent, juin 2022

Références

Légende première image : Couvert de phacélie / sarrasin. Crédit: Maxime Alaurent, juin 2022.